Misogynie affichée, condescendance, agressivité : comment 5 ans de travaux m’ont (presque) transformée en féministe du BTP.
C’est mon billet d’humeur. De mauvaise humeur. Se lancer dans de gros travaux quand on est une femme, c’est parfois s’offrir un aller simple dans le passé. A une époque (bénie de certains) où les femmes étaient de dociles personnes qui savaient où était leur place.
Petit retour arrière qui fait froid dans le dos : jusqu’en 1965, les femmes (mariées) n’avaient pas le droit de posséder un compte bancaire. Pas le droit non plus de travailler sans l’accord du chef de famille (un homme, cqfd). Certes, 55 ans plus tard, de l’eau a coulé sous les ponts. Et pourtant, certains comportements misogynes semblent avoir la vie dure.
Etre une femme qui fait des travaux, ça donne quoi ?
Voici quelques chiffres édifiants : dans le BTP, les femmes représentent 11,9% des effectifs. Pas si mal pour un secteur qu’on imagine quasi-exclusivement masculin. Oui, mais elles sont seulement 1,5% dans le corps ouvrier. Le manque de mixité sur les chantiers explique sûrement cela.
Peu importe que de plus en plus de femmes deviennent Meilleurs Ouvriers de France (comme Myriam Boubra) et dans des disciplines aussi masculines que la soudure (98% d’hommes) : une minorité reste une minorité.

La plupart du temps, il faut le reconnaître, que je sois une femme ne fait aucune différence. Tant mieux. Parfois, c’est gratifiant : “tu vois Jéjé, il n’y a pas que ta femme qui est super costaud”. Ou drôle quand certains se décrochent la mâchoire en me voyant au volant de mon camion benne. Pratique aussi quand des clients se précipitent pour m’aider à charger 300 kg de regards en béton (au-delà de 150kg, je me moque qu’on me prenne pour une faible créature).
Mais pour les 95% du temps où tout se passe normalement, il reste 5% qui mettent mes nerfs à rude épreuve.
4 indices infaillibles pour détecter un comportement misogyne
Avec le temps, j’ai développé un flair inégalé pour détecter les adeptes de la vieille école, les nostalgiques du passé, les porteurs de préjugés. Bref : les misogynes. Tour d’horizon des situations les plus cocasses (toutes vécues) avec les indices et leur traduction.
1- Mon interlocuteur est fébrile
Je me présente à mon interlocuteur et je commence à discuter travaux en casant quelques mots clés pour le situer (le bingo-blabla de la rénovation). Mais mon interlocuteur n’y est pas : il n’arrête pas de regarder autour de lui et il transpire anormalement du front. Quelques minutes passent, la tension est à son comble. Mon interlocuteur craque et fini par demander, la gorge serrée et la voix tremblante : “votre mari n’est pas là ?”
Traduction : elle ne va rien comprendre, je me suis déplacé pour rien.
2- Mon interlocuteur souffre d’une paralysie des globes oculaires
Mon interlocuteur s’est détendu (mon mari est enfin arrivé) mais on dirait qu’il a du mal à faire bouger son regard. Il s’est placé face à mon mari qu’il fixe comme la 8ème merveille du monde et ne me regarde jamais. Quand je me déplace pour rentrer dans son champ de vision, il pivote. Je dois être démagnétisée.
Traduction : elle ferait mieux d’aller chercher un café puisqu’on discute travaux.
3- Mon interlocuteur souffre de problèmes d’audition
Après avoir fait son numéro de claquettes (chez Béton et Fils, nous faisons le meilleur béton), mon interlocuteur répond à nos questions. Ou plutôt il répond aux questions de mon mari. Je ne dois pas parler assez fort. Ou il est sourd d’un côté (le mien). Ou il n’entend pas les aigus. Je parle plus fort, avec la voix de Barry White, je change d’oreille. Marche pas. Non. Toujours pas.
Traduction : on est entre hommes, là.
4- Mon interlocuteur souffre du syndrome de Tourette
Je profite d’un blanc dans la conversation pour répéter ma question, désormais impossible à ignorer. Mon interlocuteur se tourne vers moi et je vois dans son regard et ses lèvres pincées qu’il a envie de dire “idiote, idiote, idiote”. Il se retient, il hésite. Sa réponse est sans appel : je suis à côté de la plaque. Son ton est condescendant, j’ai l’impression d’avoir 5 ans.
Traduction : c’est moi le pro ici. Ecoute et apprends.
Tous ces exemples sont tirés de situations vécues. Parfois lors d’un seul et même RDV. Pour les incrédules qui chercheraient des explications rationnelles : non, je ne fais pas mes travaux en jupe crayon et chignon banane. Non, je n’utilise pas de mots que je ne comprends pas (sauf au scrabble). Et enfin, oui, après 5 ans de travaux je commence à avoir un bon bagage technique. Mais est-ce que ça compte ? Pas pour tout le monde il faut croire.
